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par Jeanne » 24 juil. 2004 01:36
Jeanne resta des jours durant à ne rien faire. Elle aiguisait patiemment ses lames, préparait son équipement. Quand ces satanés bandits répondraient-ils enfin ! Elle voyait ses chances de retrouver Merrick s’éloigner, et la rage déformait ce visage étrange que certains hommes, même sobres, trouvaient beau. Une semaine d’une attente douloureuse passa. Aucune nouvelle. Dès lors si l’Organisation refusait à la jeune fille son aide, elle irait seule. Elle prit la route de nuit. Son monde était désormais celui des tavernes où les ivrognes parlent trop, des voleurs à la tire de bas étage et des mendiants purulent… La nuit porte conseil, elle offre à l’esprit les plus noirs desseins. Elle n’avait pas envie de se ravir de quoi que soit. Elle pensait à Merrick. Elle pensait à sa cible.
Le jour, elle dormait. Quelques gardes venaient la bousculer, la prenant pour une traînée ou pour un vagabond. Mais lorsque sa cape découvrait ses habits bourgeois, le ton devenait plus sobre, plus condescendant. On la renseignait plus volontiers, on lui indiquait les lieux où elle pouvait trouver un sommeil digne de sa condition. Quand elle entendait ses mots imbéciles, elle se demandait pourquoi les hommes se croyaient obligés de vous renvoyer le reflet de votre existence. Elle n’avait plus aucune condition. Sa seule obsession était Merrick. Elle pensait à sa cible.
Elle chercha longtemps ses compagnons. Les hommes de main de son père avaient disparu. Depuis l’escarmouche avec son maudit amant, elle n’avait plus aucune nouvelle. Les survivants de cette nuit là avait pris le parti de devenir des fantômes. Que faire dès lors ? A elle seule, elle avait peu de chance de trouer la peau de cette vermine. Il fallait qu’elle trouve une solution. Il lui fallait un moyen de retrouver et de faire payer dans les plus atroces souffrances Merrick. Elle pensait à sa cible.
A la porte du quartier sud, elle s’arrêta quelques secondes. La ville basse était réputée pour être peu accueillante. Mais l’Auberge du Cygne Noir était la seule piste qu’elle avait. Retrouver ses compagnons était une priorité. Devant sa propre hésitation, elle réalisait qu’elle n’était pas encore de la race des êtres perdus du monde dans lequel elle voulait entrer. Elle avait peur, sa bouche était sèche, ses yeux s’agitaient nerveusement. Elle avait une appréhension… Non, elle avait peur. Merrick. Ce seul nom suffit à la faire basculer définitivement dans une autre vie. Errance, sang et douleur. Elle franchit la porte en veillant à ne pas réveiller le garde qui ronflait allégrement. Décidément, elle détestait les gardes. Elle pensait à Merrick.
En poussant la porte de l’Auberge, elle rabaissa machinalement sa capuche sur son front. « Allez » se dit-elle. Elle entre d’un pas décidé… Personne ne fit attention à elle. L’Auberge du Cygne Noir était comble. Comme toutes les nuits, les brigands, les lupins et les assassins venaient y dépenser leur or et attendre leurs clients. Quelques gros visages bourgeois, emmitouflé dans des habits vieillis maladroitement et encadré par de grands gaillards, tentaient de se faire discret. Personne n’était dupe. L’atmosphère était lourde, l’air irrespirable. Le gras d’une cuisine immonde, la sueur de ces être qui ne se lavent jamais et le vice passaient par les narines pour frapper directement au cœur. Elle avait envie de vomir. Les plus sales étaient sans doute les filles de joies qui allaient de table en table, toujours une dague à la main, pour repousser les inconvenants et couper quelques bourses.
Elle balaya la salle d’un coup d’œil circulaire. Les visages étaient hideux, les mains parfois encore pleines de sang. Beaucoup riaient, d’autres chantaient, certains restaient paisiblement assis. Tous buvaient. Elle ne reconnut aucun des hommes de son père. Elle s’approcha du bar. Un gros homme dégoulinant riait d’un ton macabre. « Il est mort… Mais si je te dis, par un de ses hommes. Non seulement il se tapait la fille mais il a eut le père. Je sais pas combien il était payé, mais il a du toucher gros. » Son interlocuteur était un vieil ivrogne assez âgé. Il souriait d’un air avide, laissant place à une bouche réduite à une dentition sommaire. Une molaire, en or. Rien de plus. « Enfin bon, la place est libre. Dommage j’ai plus mes vingt ans. Ca aurait pu être juteux. En tout cas c’est pas sa gamine qui pourrait reprendre le flambeau. On dit qu’elle a pris une flèche dans le cou… Zou ! Transpercée de part en part. On a pas vu son cadavre, mais ce qu’il en reste sert plus à grand chose… Ca aurait pu faire une belle catin… Rentable et docile. Une seule nuit avec moi et… » A l’approche de Jeanne, le tenancier de cet horrible décharge humaine s’était tu… « qu’est ce que je peux faire pour toi gamin ? Une femme ou à boire ? Les deux peut-être ? » Et s’adressant à toute la salle « Encore que la boisson ici, faut être drôlement plus bâti que toi pour l’encaisser. » Il rit avec quelques membres de l’assistance, assis à la table juste ne face du comptoir.
Elle rejeta sa capuche en arrière, en signe de défi. « Je cherche quelques hommes pour un contrat. La durée est longue. La cible introuvable. » Le gros homme eut un geste de recul, surpris de voir une femme s’aventurer si tard dans sa taverne. Mais il ne parut pas reconnaître en elle la fille du "Borgne". Puis il éclata de rire et haussa le ton pour se faire entendre de tous. « La Dame souhaitera trouver de compagnons pour partir à l’aventure… Quelqu’un pour lui faire connaître l’aventure ? »
Tous les yeux étaient braqués sur elle. Un grand, ivre, était passé derrière elle et se tenait entre la jeune fille et la porte de l’auberge. Il la saisit par le bras pendant que deux de ses compagnons s’étaient approchés d’elle. « Alors tu veux partir à l’aventure ? On va t’emmener avec nous… » Et s’adressant à l’aubergiste : « Elle est quand même plus fraîche que la vieille Agnès ».
Elle essayait de se retirer de l’étreinte mais l’homme était d’une taille colossale. Sa main agrippait douloureusement son bras gauche. « Vous ne savez pas qui je suis ?!!!". Je vous interdis de me traiter de la sorte… En entendant le nom de son père mumurmuré de table en table, quelques roublards qui s’amusaient de la scène blêmir un peu.… Le plus petits de ses nouveaux propriétaires laissa éclater un rire immonde. Au bout du bar, un homme discret releva la tête, observa Jeanne avant de porter son verre à sa bouche. Il portait un petit tatouage sur le poignet. Le petit homme reprit comme un défi, en s'adressant à la noble assemblée: « Elle est la fille d’un cadavre… » Et il la gifla violemment.
« Allez, les gars lancez le spectacle ». La voix venant du fond fut suivie par un écho assourdissant « Un spectacle, un spectacle… » Toutes ces faces ignobles frappaient du poing sur la table, riaient de bon cœur en attendant que les trois brigands s’en prennent à elle, devant tout le monde… Qu’avait-elle encore fait ? Quelle idée de venir ici… Elle saisit sa dague et voulu l’enfoncer dans la jambe du lourdaud, mais le troisième, un elfe, lui saisi le bras. « Alors mignonne, on est farouche » Il lui tordit le poignet, lui faisant perdre la dague sous la force de l’étreinte. Elle était perdue…
A deux tables de là, cinq hommes et une femme drapée discutaient. Seule la femme observait la scène, horrifiée. Son visage pourtant dur, trahissait un réel dégoût. Elle prit le bras de l’homme assis à ses côtés « fais quelque chose : ». L’homme tourna lentement la tête vers jeanne. Il observa neutre, avant de dire lentement et distinctement : « Je ne suis pas payé. Je ne fais jamais rien sans être payé pour. Elle n’aurait pas du mettre les pieds ici… » Le femme serra le bras plus fort. « Fais quelque chose Kaali !!! ». Devant l’insistance et le visage suppliant de son amie, l’homme se leva et s’approcha doucement de la scène.
« Bon, les rats, c’est ma cliente, et je n’apprécie pas qu’on importune mes clients. Un client heureux paye bien ! » Les trois hommes tournèrent le visage vers cet étrange personnage. Ses yeux étaient déterminés et sombres, son visage dépourvu d’expression. « De quoi je me mêle l’ami… Elle est à nous ! T’attendras ton tour. Allez du vent, moi j’aime pas qu’on me coupe dans ces moments là, ça noie mon inspiration. »
« Je vais être contraint de te couper… » Avant même de finir sa phrase, il avait tiré son épée de son fourreau, et d’un geste chirurgical, il coupe la main de l’elfe qui tenait la jeune fille. Un filet de sang jaillit alors que sa victime tombait à genou dans un râle écœurant… « Ahhhh… MA MAIN !!!!! IL A COUPE MA MAIN »… Le plus petit se précipite sur le mercenaire qui nettoyait sa lame sur le dos d’un ivrogne endormi, alors que l’armoire projeta Jeanne contre le mur. Avant même que l’homme ait pu tirer son épée courte de son fourreau, une flèche s’était logée dans son crâne. A la table de la bienfaitrice, un elfe tenait un arc court et retirait lentement une autre flèche de son carquois posé au sol.
Le gros, surpris, ne pris pas le temps de demander son reste et enfonça violemment la porte. Kaali observa la salle, silencieuse, craignant une réaction hostile. Personne ne bougeait. Ces brigands n’aimaient pas se frotter aux mercenaires et aux bandits. Ils étaient presque pétrifiés. Le silence fut brisé par l’homme au tatouage qui posa violemment son verre sur le comptoir et s’avança vers Jeanne. Kaali le suivait des yeux. L’elf le mit en joue.
L’homme relava la jeune fille et lui dit à l’oreille : «Cela fait plusieurs jours que je vous cherche. Ne faites plus jamais perdre de temps à l’Organisation. Voilà vos instructions. » Sur ce il glissa une missive dans la doublure de la jeune fille encore choquée et disparut dans l’embrasure de la porte grinçante. « Attendez » cria t-elle, mais le mystérieux homme avait disparu dans la nuit. Elle se retourna vers le groupe des mercenaires qui s’apprêtaient à sortir, vigilants. « Merci ». Kaali jeta un coup d’œil indifférent à la jeune fille avant de franchir le seuil de la porte. Ses compagnons sortirent un par un, suivi de la femme qui lui sourit. « Partez, le coin risque de s’animer ». Jeanne jeta un dernier coup d’œil à la salle qui l’observait d’un œil inquiétant… Elle courut rattraper le groupe qui sortait.
Elle les rattrapa facilement. Ils n’avaient pas l’air très pressés. « Je vous engage ! Je cherche des hommes pour un contrat. Je paie bien. » Kaali se tourna vers elle, un peu agacé. « Jeune fille, si tant est que tu aies eu les moyens de t’offrir nos services, nous n’avons un autre voyage en perspective. Et nous n’avons plus le temps. Alors oublies nous et rentres chez toi. »
La femme s’approcha de Jeanne et lui dit doucement « excuses le ma petite. Il n’est pas méchant… Il est juste comme ça. Nous partons pour les souterrains de Delain, il paraît qu’un démon tente d’échapper à sa prison et prépare son réveil. Un Démon légendaire. » Les autres avaient prit de l’avance; la femme se pressa pour les rejoindre. Elle se tourna vers Jeanne « prends soin de toi et ne t’aventures plus dans ce genre de lieu. » Et il disparurent, laissant Jeanne seule, avec une missive et un amant à tuer.
La missive du Conseil-Inter Royaumes était pour le moins surprenante.
« Bien reçue votre message. Nous vous demandons de ne plus utiliser ces canaux. Nous vous joindrons quand nous le jugerons nécessaire. Pour votre vengeance, elle sera accomplie au nom de la Main. Peu importe votre père, c’est l’Organisation qui est salie dans son honneur. Allez au nord de la route de Kâar. Dans deux lunes, vous devriez voir un convoi d’une vingtaine d’hommes passer. Vous les reconnaîtrez. Ils sont étrangement armurés. Vous leur montrerez cette missive. Les instructions y sont récapitulées. Considérez votre vie et votre avenir entre nos mains. Vous aurez ce que vous voulez mais nous appartenez dès à présent. Les deux dirigeants du convoi seront vos maîtres. Ils disposeront de vous selon leurs desseins. Ne ratez pas le rendez vous.
Fqjfdlqslkdf [une signature illisible]
Pour le Conseil Inter-Royaumes.
Elle avait trouvé ses compagnons. Elle pensait à Merrick.
Merrick, reviens à la maison !!!!