La soupe des morbelins

[Kadoc]

Depuis plusieurs jours déjà, un morbelin avait recruté une petite équipe de bras cassés.
Leur équipement tout neuf, quoique de bien faible qualité, avait-il attiré son regard?
Ou était-ce plutôt leur parler fort (qui cachait leur faible musculature) qui l'avait impressionné?

Toujours est-il que lorsqu'il leur avait demandé de l'aide pour l'escorter, nains, elfes et humains avaient accepté d'une seule voix, et avec un enthousiasme peu commun:
-mouais, bof!
-bah...?
-pourquoi pas?
-oui, mais pourquoi?
-y a qu'a demander son avis au chef
-ouais! bonne idée
-...
-...
-...
-..?
-euh...?
-c'est qui le chef?
-ah! bonne question!
-chef! chef! c'est qui le chef?
-...
-...
-...
-bon, bah on a qu'à y aller!
-t'es qui toi? t'es chef?
-ah non...enfin, j'crois pas, ou pas depuis la dernière révolution en tout cas
-bon, bah moi j'y vais
-où ça? manger?
-j'sais pas, viens, tu verras!

Or donc, comme on le voit, c'est avec une belle unanimité et un entrain contagieux que tous se mirent en route pour escorter le morbelin.

[Kadoc]

Plusieurs jours passèrent sur le chemin, la quinzaine d'aventuriers en rang par quinze, en ordre alphabétique, les plus petits devant.
Bref, comme à l'accoutumée dans ce groupe de joyeux drilles, régnait pa plus grande confusion quand l'un d'eux, touché par la grâce sans doute eût cet éclair de génie:
-au fait, on va où?
-...
-...
-...
-...?
-faut demander au...
-...chef? on sait pas qui sait, même si on sait qu'on en a un
-non, faut demander au morbelin!
-t'es un génie toi, t'es sûr que c'est pas toi le chef?
-euh...non! j'suis pas sûr.

Bref, ils demandèrent au morbelin où celui-ci les amenaient, et surtout, s'il y avait à boire à l'arrivée

-che retourne auprès des mienchs, ma famille est grande et mes genfants affamés! et ma douche est pas fachile!
-une douche? s'écria un nain! on peut pas avoir de la bière plutôt?
-non, ma douche, tu comprends rien?
-mais ouiiiii...une douche, quelle bonne idée répliqua un elfe!
-vous gêtes chourds ou quoi? ma douche, ma femme en d'autres termches et che devait leur apporter à mangech, mais ch'ais rien trouvéch

[Kadoc]

Quelques péripéties plus tard, les voici en vue de la famille morbeline:

-quech'que tu m'ramène là s'écria la douche (sa femme quoi!)tu devaich pas apporter le chouper? et tu nous ramènes des traines chavattes, affaméchs et achoiffés, en pluch!
-ma douche, ma douche, ches gentils aventuriers vont nous jaider à préparer un fechtin

Sur les conseils du morbelin, la bande reparti en tous sens à la recherches d'ingrédients pour la soupe
-j'ai des pattes de lapin
-et moi des citrouilles
-et moi un crâne, pour faire joli
-et moi quelques herbes
-et moi j'ai soif
-et moi une poulette, mais pas touche!
-moi j'ai une rune!
-fait voir?
-prêtes!
-donnes!
-c'est quoi une rune?

[Kadoc]

Pendant ce temps, l'un des fils morbelin préparait un grand feu pour la soupe lorsqu'il fût attaqué par un aventurier (attaquer le cuistot, j'vous d'mande un peu!)

-alerte! alerte! les morbelins sont attaqués, protégez le souper et les enfants!

Quelques claques et avertissements plus tard, les assaillants n'ayant pas cerné le problème, les protecteurs des morbelins firent leur travail, et abattirent 3 malandrins!
Le dernier à tomber sous leurs coups (faibles, mais nombreux et déterminés) et que tout le monde pensait sourd et muet, en plus d'analphabète, pris soin d'appeler la garde royale.
Halifax, n'écoutant que son courage (et ses gros muscles, et sa grande force de frappe, et sa rapidité, et son épaisse armure) pris le temps de crier taïaut! (c'était ça ou réfléchir, mais ça fait moins mal à la tête) avant d'expédier les escorteurs un peu partout dans les étages (dans les extérieurs principalement, aucun n'ayant pensé à s'inscrire dans un quelconque dispensaire).

Quelques explications plus tard (quelques jours, histoire de bien lui faire comprendre sa bévue), il reconnu son erreur et la répara en partie en utilisant ses pouvoirs pour regrouper la compagnie auprès des morbelins.
Mais la situation devenait intenable: défendre les morbelins leur valait la peine capitale, et ne pas les défendre était faillir à leur mission.

[Kadoc]

-che qu'il faudrait, ch'est allez préparer la choupe là où le garde ne va pas! Nous, les morbelinchs, connaichons des chemins checrets pour nous déplacher rapidement
-allons-y alors
-montre-nous le chemin
-on va où?
-...?
-le chouchis, ch'est que cheuls jêtres de la taille des morbelinchs peuvent les emprunter. Ch'aurais bien une idéech, mais pas chur qu'elle vous plaise
-chi, chi, euh...si, si, ça nous plaît déjà!
-ch'ai avec moi de la poudre machique qui peut vous tranchformer en morbelinchs et vous permettre de venir avec nouchs
-super
-pas besoin, j'suis déjà p'tit!
-oui, mais t'es gros
-...
-chiche (c'est un mot morbelin ça!)

tout le mode étant d'accord, le morbelin les saupoudra, et tous furent transformés instantanement en morbelins
-ahah! t'es tout vert l'elfche!
-et toi, t'es tout moche
-cha change
-cha fait tout drôle
-ch'ai l'imprechion de parler tout bijarre

[Kadoc]

Une fois rendu sur place, la soupe fut préparée rapidement. Ne manquait plus qu'un ingrédient.

-mes nouveaus jamis morbelinchs, che chais qu'il manque un ingrédient checret, et che chais auchi que l'elfe que che vois là-bas le pochède chans le chavoir!
A vouch de le motiver pour nous rechoindre, mais attenchion! il le faut vivant
-vivant?
-...?
-cha va pas être chimple
-faudrait que le chef lui demande
-...
-...
-...
-bon, d'accord, ch'y vais

[Kadoc]

Après avoir bu la soupe, et en avoir repris pour certains, un étrange phénomène se passa.
Les nouveaux morbelins devinrent silencieux, leurs regards se vidèrent de toute expression et, cessant toute activité commencée avant la soupe, ils se mirent mécaniquement en marche vers le nord-est, une direction et une destination qui obnubilait leurs esprits.
Fort de sa nouvelle acquisition du savoir de la marche rapide, Kadoc fut le premier à partir, comme un lemming ayant reçu le signal.
Soudain, sa tête entra en contact avec une colonne de pierre, dressée sur son chemin. Assurément, il ne pouvait se rendre à l'endroit où ses pieds semblaient vouloir le mener.
Alors, il commença à gratter la pierre avec ses ongles, dans l'espoir, peut-être, de s'ouvrir un chemin vers le lieu qui l'attendait.

[Kadoc]

Le shaman cuisinier n'y comprenait plus rien. Tous les occupants du dispensaire venaient de quitter la zone pour partir vers le nord-est, en silence, le regard vide.
Ils s'agglutinaient près d'une muraille que certains n'arrivaient pas à contourner, s'acharnant à gratter la pierre de leurs ongles ensanglantés.
Les autres, passant par la partie est, disparaissaient derrière.

-mais qu'ech qui leur arrivche, à touchs?
Accélérant le pas, il les devançait à présent. Derrière la muraille, peut-être la solution. En tous les cas, une sacrée surprise, comme aurait dit son cousin Jean-Pierrche.
A quelques pas de là, un gros morbelin semblait les attendre. Mais vraiment gros, plus gros que tout ce que les légendes sur les anciens Dieux morbelins racontaient.
La bave aux lèvres, un gourdin à la main, il attendait avec impatience.
Etait il à l'origine de ce phénomène ? Etait-il "l'appeau" qui attirait irrésistiblement la troupe disparate?

-enfin vous voilàch! lança le monstreux morbelin.
-chela fait des chemaines que je vous attends. Le temps de ma vengeanche arrive.
Lançant des coups d'oeils intrigués sur la foule qui s'approchait, il continua
-maich qu'echt che que ... Qui chont ches imitations de morbelins ???"

Le sortilège allait il suffire à tromper le flair de ce monstrueux morbelin ?