Epilogue
J'avais un mauvais pressentiment ce soir là. Je ne saurais pas trop dire pourquoi, mais j'avais la conviction intime que ce qui advint peu après devait arrivé cette nuit là. Je le savais, et je n'ai rien pu y changer, je n'ai pas même pu essayer une dernière tentative. Tout fut vain, mes efforts, comme ceux des autres. Encore un fantôme, oui encore un, qui va désormais hanter mes nuits, mes rêves et surtout mes cauchemars. Il y en a tant pourtant, dont j'aimerais me passer, mais cela est impossible.
Venant de me rassasier à l'auberge d'un maigre ragoût dont personne n'osa demander la provenance, je me levait en hâte, avec cette peur au ventre, pour pousser les portes du dispensaire tout proche. Pas un bruit, dans ce lieu si bruyant d'habitude, où l'on entend les cris d'agonies des aventuriers malchanceux et de la vermine de ces bas-fond, et pas un murmure ne parvint à mes oreilles, alors que je me dirigeais d'un pas rapide vers une des chambres. A chaque pas de plus vers ma destination, je ressentais en moi la peur grimper, mon ventre se tordre d'appréhension, et mon sang battre à mes tempes.
J'ouvris la porte, et ressenti la bouffé d'air tiède qui émanait de la pièce, auréolé de cette douce lumière du feu de cheminé. Je respirais à nouveau un peu mieux, Eléria était assise dans son lit, un carnet à la main, en regardant les flammes de la cheminée. Elle tourna lentement la tête vers moi, et essaya de sourire. Ses douleurs devaient lui rendre très pénible ses mouvements, aussi m'approchais-je d'elle en lui demanda de ne pas faire tant d'effort, et de se reposer encore.
Mais elle n'était pas d'accord, elle voulait sortir. Mais pour aller où ? Elle était malade, et cela faisait plusieurs jours qu'on ne l'avait pas vu éveillée. Je lui demandais de ne rien tenter, et j'allais appeler un docteur lorsqu'elle m'interpella.
Elle me conta les souvenir que nous avions en commun, et ceux qui étaient uniquement à elle. Je l'écoutais, mes yeux emplis de cette mélancolie et de cette tristesse qui avait du mal à me quitter. Les reproches ne vinrent jamais comme je m'y attendais, et bien au contraire elle me raconta ses rêves. Ses rêves si simples, les rêves d'une jeune femme désirant déposer ses armes, enlever son armure trop lourde de guerrière, et se reposer dans un champ de blé, avec son mari.
Alerté par mes cris, le docteur arriva, avec une infirmière. Il ne pouvait pas grand chose lui non plus, c'était trop tard, il le savait, mais ne disait rien. Jusqu'à la fin...
- Amaï... tu vois... ça aurait été plus simple de passer une vie loin de tout ça. Mais je ne regrette rien... je vais mourir, en paix. N'est-ce pas ?
- Mais non ! disais-je en pleurant. Mais non tu ne vas pas mourir.
- Si... mais je suis prête... et toi aussi, tu es prêt, tu le savais... tout se passera bien, tu es fort Amaï. Tu es si fort, tu es quelqu'un... de bien... tu réaliseras tes rêves, j'en suis certaine... c'est comme cela que j'imaginais un monde parf... Non !
Je la tenais par les épaules, tendant l'oreille pour écouter ses paroles de sa voix si douce, affreusement calme et sereine. Elle s'était crispée tout à coup. Je senti ses doigts se resserrer autour de mon bras et de mon épaule.
- Non Amaï ! Non ! Je ne veux pas ! Je ne... veux...
Avec les gargouillis horribles remontèrent du sang qui coula sur ses lèvres, ses yeux se teintèrent de rouge, et sa peau se crispa sous l'effet de la terrible douleur.
- Veux pas... mou-mou...
Le sang coulait de sa bouche alors qu'elle toussait sur ma poitrine, maculant ses mains et ma chemise blanche. Sa maladie la tuait, la faisait souffrir plus que tout autre chose au monde. Ses propos devinrent incompréhensibles à mes oreilles, j'ai cru perdre connaissance, submergé par un flot d'émotions que je n'arrivais plus à contrôler, déferlant aussi vite que mes larmes coulaient de mes joues. Je la tenais dans mes mains, qui se convulsait de plus en plus, parcourue des spasmes mortels. J'étais taché de sang, de son sang, de son propre sang coulant dans ses veines, se répandant dans ses poumons rongés par la maladie.
Les docteurs n'y pouvaient plus rien, et ils me laissèrent seuls. Seul assis sur le bord de ce lit où elle reposait dans mes mains. Je la tenais fermement contre moi, pleurant toutes les larmes de mon corps. Je n'avais jamais autant souffert depuis l'oublie de Nenya, depuis la mort d'Iris. J'essuyais ses lèvres et ses joues avec la manche de ma chemise, et je ne retenais plus mes larmes. Les images restaient bloquées dans ma tête, et je savais déjà alors qu'elles y resteraient gravées comme dans le marbre, tout comme le sont d'ailleurs les images de la mort d'Iris.
Je ne perdis pas mon temps en supplications désespérées auprès des prêtres. Une rapide entrevue avec le responsable du dispensaire dissipa tous mes doutes, et détruisis tous mes espoirs les plus enfouis. Eléria était morte, et la faire revivre ne servirait qu'à augmenter ses douleurs. Maudis souterrains, où une telle promesse de résurrection ne signifie jamais que plus de douleur, plus de cris de larmes et de sang.
Dans la journée qui suivit, j'envoyais quelques lettres, à qui devaient les recevoir. Je prenais les dispositions nécessaires pour que les dernières volontés d'Eléria soient respectées. Ses affaires furent envoyées par le responsable du dispensaire, sans que j'ai à m'en occuper, ce en quoi j'ai pu le remercier. Je n'aurais jamais eu la force de faire tout cela moi même, pas à ce moment là.
Quant aux autres, je leur écrivis des lettres, une à Carole, deux à Liselle, une courte pour la prévenir, et une seconde le lendemain, alors que je me sentais un peu plus en mesure de lui écrire.
Aujourd'hui, je ne sais pas ce que je vais faire. Je ne sais pas ce qui m'attend désormais. Ma vie n'a jamais eu beaucoup de sens, mais le poids des morts pèse lourd sur ma conscience.
Que dois-je faire, désormais ?
Fin
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Que dois-je faire, désormais ?
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[Amaï Ethen] Disparu
[Eléria Doucepluie] Décédée
[Les autres] ???
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