Fatalitatis Rosa

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Fatalitatis Rosa

Message par Sunetra » 09 févr. 2006 23:35

Cité de Delain, il y a 1473 années…



« Et vous m’apprendrez le sort bip bip pour la semaine prochaine ! »

« OUI MAITRE TRALEK », répondirent en chœur les étudiants en magie de troisième année, avant de sortir dans un vacarme monstrueux.

Nienna, une jeune elfe du Clan Chantelune (un des Clan elfes les plus importants et les plus riches de Delain), se pressait de rentrer chez elle pour étudier ses leçons. Elle était une des élèves les plus prometteuses du Collège de Magie, assidue et sérieuse dans tout ce qu’elle entreprenait. Cela lui valait bien des problèmes avec ses camarades de classe. Jaloux des talents de Nienna, dérangés par son dédain pour les autres et sa solitude, ils prenaient un malin plaisir à la torturer de leurs moqueries et quolibets.

Alors qu’elle se hâtait de rentrer chez elle, Nienna se fit doubler par une bande de garçons qui la bousculèrent au passage. Elle n’entendit que la moitié des insultes qu’ils lui lancèrent à la figure, mais cela lui suffisait déjà. Mâchoire serrée, Nienna se pencha pour ramasser les livres qu’elle avait lâchés et maudit à voix basse les jeunes malotrus qui s’étaient déjà éloignés.

« Qu’Ecatis vous emporte tous, bande de porcs. »

Il lui fallut bien cinq minutes pour remettre en ordre ses livres et ses feuilles de cours. Agacée au plus haut point, elle se remit en route prestement. Dépassant l’arche d’entrée du Collège, elle déboucha sur la Place des Festivités. Elle contourna la fontaine d’Or devant laquelle s’étaient réunis les abrutis qui la maltraitaient. Elle ne leur prêta aucune attention, tout juste entendit-elle Gors, le plus crétin de tous, faire le fier devant ses camarades :

« Et bien, il suffit d'en invoquer un et de lui demander… »

La tête baissée, Nienna dépassa rapidement le petit groupe, son esprit plongé dans de noires idées de vengeance. Bientôt elle serait chez elle…
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Message par Sunetra » 11 févr. 2006 14:20

Le feu. Le sang. La mort.

Tout n’était plus que désolation autour d’elle. Delain était partie en ruine en quelques heures à peine.

Rampant à travers les décombres de la ville, Nienna tentait vainement de trouver d’autres survivants. Par quel miracle avait-elle échappée à la mort, elle n’aurait su le dire. Mais elle espérait de tout cœur qu’elle n’était pas la seule.

Le démon était visiblement parti, du moins ne le voyait-elle plus et ne sentait-elle plus sa présence malfaisante. Elle s’interrogeait encore sur le comment de son apparition, lorsque, arrivant sur la Place des Festivités, elle comprit. Les cadavres de ses camarades étaient éparpillés aux quatre coins de la place, parmi ceux de tous les commerçants, artistes et habitants qui étaient venus pour la fête. La fontaine était fêlée en deux et déversait maintenant plus de sang que d’eau. Réprimant son envie de vomir, Nienna se fraya lentement un chemin jusqu’au centre de la place, scrutant attentivement le sol. Enfin, elle trouva ce qu’elle cherchait. Un vieux livre de magie. Il n’en restait plus grand-chose maintenant. Les feuilles avaient été arrachées ou réduites en cendres. Tout juste Nienna parvint-elle à identifier le titre de la page de garde à moitié brûlée : Invocatum Grandum Majestum Demonicus.

« Gors… Qu’as-tu fait ? », pleura Nienna.

C’est alors qu’elle le sentit. Il était là, Il venait de revenir, Il attendait. La respiration de Nienna s’arrêta un instant, puis son cœur battit la chamade. Un froid terrible s’empara d’elle, prédicateur d’une mort prochaine. Ses membres ne lui obéissaient plus, même son regard se troubla.

Puis réunissant le peu de courage qui lui restait, Nienna se retourna lentement…

La bête était immense. Terrifiante. Un démon. LE démon.

Le sortilège que Nienna avait au bout des lèvres s’estompa dans un murmure futile. La bête éclata d’un rire malsain. Nienna crut que sa tête allait exploser.

« Pauvre folle. Crois-tu que tes maigres connaissances de la magie vont te sauver, là où les plus grands mages de Delain ont tous échoués ? Ah ah ah !!! Vois ma puissance, elfe. Vois comme il m’est facile de détruire une ville et ses habitants en si peu de temps. Bientôt, ce sera le pays tout entier que je plongerai dans le chaos et la désolation. Mon règne commence aujourd’hui, et vous, pauvres créatures mortelles, vous allez enfin connaître votre destin ! »

Le démon se tut un instant, et Nienna sortit de sa torpeur. Elle ne réalisa que trop tard qu’elle répondait au monstre.

« Aussi puissant soyez-vous, tôt ou tard, vous serez renvoyé au néant d’où vous venez démon ! »

Le silence s’installa, les deux êtres étant aussi surpris l’un que l’autre de cette réponse. Le démon baissa alors la tête vers Nienna. Leurs regards se croisèrent, et Nienna lut dans les yeux de la bête la promesse de mille souffrances.

« Voyez-vous ça… », fit le démon avec ce qui semblait être un sourire. « Ta fierté a toujours été ton principal défaut, Nienna Chantelune ! Assumes-en les conséquences maintenant pauvre folle ! »

Le démon se redressa alors de toute sa taille, et Nienna ferma les yeux, résignée sur son sort. Mais le coup ne vint pas. L’elfe rouvrit les yeux et vit que le démon avait reculé de quelques pas. Il ne semblait pas vouloir la tuer…

« Que… », hoqueta Nienna, à la fois inquiète et soulagée.

« Non, je ne te tuerai pas, Nienna la fière. »

Le démon psalmodia alors dans une langue gutturale et démoniaque. Son apparence changea, sa taille diminua, ses traits redevinrent plus humains… Nienna reconnut l’apparence du démon.

« Gors ?! », s’étrangla-t-elle.

Le démon à l’allure humaine, nu comme un vers, s’avança vers Nienna. Alors celle-ci comprit ses intentions, et une panique comme elle n’en avait jamais connue s’empara d’elle. Elle voulut fuir, mais un geste du démon l’affaiblit subitement. Nienna s’écroula. Le démon était maintenant arrivé à son niveau. Nienna essaya de ramper, s’agrippant aux rares touffes d’herbes qui subsistaient de l’apocalypse déclenchée par Gors. Une main puissante attrapa ses cheveux. Le démon déchira les vêtements de la jeune elfe.

« Tu mérites pire que la mort pour le moment », susurra le démon à l’allure de Gors le porc.

Nienna poussa un hurlement déchirant lorsqu’elle se sentit transpercée…
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Message par Sunetra » 12 févr. 2006 12:49

Route d’Agrabad, 107 années plus tard…




Perchée sur son poney qu’elle avait surnommé Eclair, Ysold chevauchait gaiement en direction de la cité d’Agrabad. La mercenaire naine avait entendu dire que des bandits sévissaient dans la région, et que le préfet de la ville offrait une belle récompense pour leur exécution. Ysold tapota amoureusement sa grande hache, en pensant au sang qu’elle allait verser bientôt.

Soudain, son attention fut attirée par une forme qui gisait sur la route. Cela ressemblait à un corps, mais la forme était entièrement recouverte d’un manteau noir (en très mauvais état soi dit en passant), et Ysold ne put identifier ce qui lui faisait face. Prudente, elle arrêta Eclair et sauta de sa monture avec toute la grâce qui la caractérisait. S’approchant de la forme qui était par terre, elle tendit le bout de sa hache pour soulever le manteau.

« Par Balgur, un humain !? », dit-elle tout haut malgré elle.

Ysold étudia l’homme. Plutôt jeune, sa peau avait une teinte étrangement sombre. Il devait être grand (du moins, relativement par rapport à elle), et semblait assez costaud. Ysold se demanda bien de quoi était mort ce pauvre bougre. Car il était bel et bien mort, cela la naine en était sûre. L’homme était allongé sur le ventre, aussi Ysold s’employa à le retourner, toujours avec sa hache (on n’est jamais trop prudent). A la vue du visage de l’humain, Ysold poussa un petit cri aigu. L’homme avait toujours les yeux ouverts, le regard fixé à jamais dans le vide. Mais ses yeux étaient jaunes et rouges, et ils n’avaient pas de paupières.

Craignant un maléfice quelconque, Ysold s’apprêta à décapiter l’humain, histoire d’être sûre qu’il ne lui ferait rien. Mais alors qu’elle brandissait sa hache, un cri de désespoir précéda l’apparition soudaine d’un éclat blanc et blond. Une femme elfe venait de se jeter sur le corps de l’humain, défiant la naine de mettre à exécution sa décision.

« Non ! », hurla l’elfe. « Je vous interdis de le tuer ! Il n’a rien fait ! Ce… ce n’est pas sa faute, c’est sa nature ! »

Complètement dépassée, la pauvre Ysold baissa son arme et répondit :

« Mais Dame, cet homme est déjà mort. Je voulais juste m’assurer qu’il ne se relèverait plus jamais. »

L’elfe pâlit, et sans répondre à la naine, commença enfin à étudier l’humain. Son visage se creusa tellement lorsqu’elle comprit que la naine disait vrai qu’Ysold crut qu’elle allait se transformer en liche.

« Nooooon… noooon !! », pleura l’elfe.

Ysold posa une main compatissante sur l’épaule de l’elfe, puis au bout de cinq minutes, elle voulut la relever. Mais l’elfe s’accrochait désespérément au cadavre, répétant inlassablement dans ses sanglots le nom d’Avaleth.

Finalement, au bout d’un quart d’heure de lamentations, Ysold n’en put plus et dut employer les grands moyens pour faire entendre raison à l’elfe. Elle arracha manu militari l’elfe du cadavre et la traîna au pied d’un arbre, sur le bord de la route. Séchant ses larmes, la gracieuse jeune femme en haillons regarda alors Ysold creuser la tombe.

Après l’enterrement du jeune homme, et quelques mots à l’attention des dieux, Ysold alla chasser puis prépara le campement pour la nuit. Les deux femmes mangeaient silencieusement, l’elfe n’ayant plus ouvert la bouche depuis des heures. Elle paraissait plus calme, mais totalement coupée du monde.

Ysold posa enfin la question qui lui trottait dans l’esprit depuis un moment.

« C’était un ami à vous ? »

Nienna secoua négativement la tête, le regard dans le vide.

« C’était l’un de Nos nombreux fils… »
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Message par Sunetra » 13 févr. 2006 21:43

Croisée des Sept Chemins, 107 ans plus tard.



« Tu veux dire que c’étaient les femmes de ta tribu qui dirigeaient ? », demanda Elvïen à Célia.

La barbare sourit à la question naïve de la jeune elfe. Cela faisait maintenant quatre mois qu’elle avait rejoint la petite compagnie mercenaire formée par Ysold. Elle était la première humaine, car les deux autres compagnons étaient des elfes : la sombre Nienna et la jeune Elvïen.

Célia n’avait jamais été plus heureuse que le jour où les trois femmes étaient venues la libérer. Appartenant autrefois à la tribu du Grand Cerf, une des nombreuses tribus barbares qui peuplaient les plaines d’Askwald, elle avait été réduite en esclavage, comme beaucoup des siens, après la Croisade démente qu’avait mené un Seigneur de Guerre contre les barbares. Elle était alors passé de Chef du Culte de Galthée à simple servante. Un choc, dont elle se remettait à peine. Mais la bonne humeur d’Ysold et d’Elvïen l’aidait à oublier cette page obscure de sa vie. Elle faisait partie maintenant de leur petite bande d’aventurières, joignant ses talents cléricaux aux prouesses martiales d’Ysold et Elvïen et à la puissante magie de Nienna.

« Non, pas vraiment, mais elles avaient un rôle très important dans notre société, peut-être plus que les hommes. Mais elles ne dirigeaient que le culte de Galthée, pas la tribu. » expliqua la barbare à la paladin elfe.

Elvïen parut satisfaite de cette réponse et n’osa pas demander davantage de renseignements sur le passé de Célia. Elle savait à quel point celui-ci pouvait être douloureux… Une petite tape dans le dos dissipa la mélancolie qui avait commencé à la gagner.

« Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Pfff, quelle sotte, elle pourrait s’endormir sur son cheval et tomber par terre qu’elle ne s’en rendrait même pas compte… »

Ysold lança un regard noir à Nienna, qui baissa son visage gêné et s’isola à nouveau dans son mutisme quotidien.

« Je te demandais pourquoi tu avais pris la route de l’aventure Elvïen », expliqua Célia.

« Ah ! … Oh …. Euh … Parce que telle était la volonté de Falis, ma déesse. », répondit la paladin, sans se soucier de la remarque de Nienna.

« La volonté de Falis ? », s’esclaffa Ysold. « Elle veut que tu salisses ton joli minois dans la boue et le sang, comme ça, parce qu’elle le veut ? Allez, fais pas ta timide, nous avons tous nos raisons profondes qui nous poussent sur cette voie dangereuse. Falis ou pas, il y a bien dû y avoir un déclic en toi, pour qu’une aussi ravissante et fragile elfe prenne l’épée. »

« Tu doutes de mes capacités ?! », dit Elvïen en faisant la moue. « Je ne suis pas une poupée avec une épée en bois qui s’amuse à jouer les héroïnes ! Je suis une fidèle de Fal…. »

« Ouais, ouais… Mais encore ? »

Elvïen ne répondit pas, son visage s’était fermé.

« C’est malin Ysold », lança Célia, avec un sourire. « Tu l’as vexée. »

Puis se retournant vers Elvïen :

« Tu nous diras cela quand tu le voudras l’amie », dit la barbare d’un ton apaisant, tout en faisant un clin d’œil à la paladin. Celle-ci se mura dans son silence, et l’espace d’un instant, Célia crut avoir en face d’elle deux Nienna.

« Eh bah…. Ces elfes ont vraiment un fichu caractère », se dit-elle, avant d’aller rejoindre Ysold, à la tête de la petite troupe.

Les quatre femmes chevauchèrent en silence pendant un quart d’heure. Elles se dirigeaient vers la Taverne du Cadavre Borgne, un lieu où l’on pouvait trouver du « travail intéressant et qui rapporte » avait dit la mercenaire naine.

« Il y a un an de cela, une armée morbeline est descendue des montagnes au pied desquelles vivait notre communauté. Nous les avons repoussés, car nous étions les plus forts et les plus malins, mais nombre des nôtres sont hélas tombés… Mon fiancé est mort, la gorge transpercée par une flèche ennemie… J’ai quitté ma famille pour oublier ma peine. Aider les gens en difficulté, leur apporter mon soutien et mon amour compense je suppose le vide qui est en moi depuis ce jour funeste… »

Ses trois compagnes avaient stoppé leur monture lorsqu’Elvïen avait brisé le silence. Elles avaient écouté la jeune fille avec respect, et lorsqu’elle eut fini, aucune d’entre elles ne pipa mot. A quoi bon ?

Chacune repensa aux tourments qu’elles avaient endurés, et aux tourments qu’elles endureraient encore. La douleur, partagée ou non, peut se révéler un lien des plus solides. Lorsque les quatre aventurières se remirent en route ce jour-là, elles surent que leur destin était définitivement lié et que l’aventure, pour elles, commençait vraiment…
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Message par Sunetra » 14 févr. 2006 21:10

Taverne du Cadavre Borgne, le lendemain.



Tara ne savait plus où donner de la tête. La taverne était bondée ce soir-là, elle n’avait jamais vu autant de monde dans l’établissement de maître Folahr. La plupart des clients ne lui disaient rien qui vaille, des mercenaires venus des quatre coins du continent, attirés par la guerre et l’or. On disait même que certains avaient pour intention de se rendre dans les ruines maudites de Delain, à une centaine de kilomètre au sud de là, où d’étranges créatures commenceraient à s’agiter. Tara n’écoutait plus ce genre de rumeurs. Elle était fatiguée de servir à boire et à manger à toutes ces brutes, fatiguée d’esquiver sans cesse les mains baladeuses, fatiguée de devoir entendre sans cesse les remarques grivoises des hommes. Mais maître Folahr était intransigeant. Elle ne devait pas baisser les bras, la réputation de la taverne était en jeu, on avait besoin d’elle.

Après une courte prière silencieuse à Apiera, la belle rousse aux courbes généreuses repartit de plus belle au comptoir, son plateau vidé en moins de deux par les soiffards. Elle passa devant un étrange groupe de femmes : une naine plutôt marrante, deux elfes, aux antipodes l’une de l’autre, et une étrange humaine un peu sauvage. Tara se demanda un instant ce que pouvaient bien faire ces femmes dans ce lieu plutôt masculin, mais la voix tonitruante de Folahr chassa immédiatement ses questions. Encore des bières, toujours des bières... Tara poussa un soupir et repartit vers la salle, une dizaine de nouvelles choppes bien fraîches sur son plateau.

C’est alors qu’un homme costaud qui avait un peu trop bu fut plus téméraire que les autres. Tara évita facilement la main pataude, mais le rustre, loin de se démonter, se leva et attrapa la serveuse. Instantanément, ce fut le chaos dans la taverne ! Tara cria, essayant de se dégager de l’étreinte du géant, mais ces cris étaient couverts par les vociférations d’encouragements de la plupart des convives, qui allaient enfin voir « un spectacle digne de ce nom, eh eh eh ! ». La serveuse entendit maître Folahr essayer vainement de calmer la situation. L’alcool était trop fort… Tara se débattait comme une lionne, griffant, mordant, et assénant quelques coups de pieds bien placés. Mais, même si elle empêchait le mercenaire de passer à l’acte, elle n’arrivait pas à se soustraire de sa poigne de fer.

Soudain, l’attention de l’ivrogne fut attirée par autre chose. Lâchant Tara, il se retourna vers Nienna qui s’était lever pour apostropher la brute, à sa manière bien diplomatique. L’elfe récolta en guise de réponse une énorme claque qui l’envoya roula au pied du comptoir, sous les rires gras de l’homme. Rires qui se transformèrent bien vite en un gargouillis indescriptible quand Elvïen lui transperça la bedaine de son épée.

L’humain s’écroula et un silence de mort accueillit sa chute.

« Misérable cloporte, je crache sur ton engeance stupide. »

Telle fut la déclaration d’Elvïen, qui surprit tout le monde, y compris ses camarades qui la regardaient avec des yeux ronds.

Ysold fut la première à réagir. Elle releva prestement Nienna et ordonna à ses filles de quitter immédiatement la taverne. Célia et Elvïen ne se le firent pas répéter deux fois, et avant que les clients comprennent ce qui se passait, elles avaient déjà atteint la porte de la taverne. Ysold prit la main de Tara et la releva à son tour. Elle s’apprêtait à suivre Célia et Elvïen, mais les mercenaires avaient repris leur esprit. Enragés par la mort d’un des leurs, tués de la main d’une gamine, ils n’avaient pas vraiment l’intention de laisser partir Ysold, Nienna et Tara. Ils tirèrent leurs épées, et la bataille envahit l’établissement comme une traînée de poudre. Entre ceux qui vouaient tuer Ysold et ses amies, ceux qui voulaient les défendre, ceux qui voulaient simplement répandre le sang et ceux qui n’avaient rien demandé à personne, le chaos était total. Ysold attrapa sa grande hache et à contrecœur, elle DUT tailler dans le vif pour se frayer un passage. Tara la suivait, et Nienna fermait la marche, protégeant leurs arrières grâce à sa magie.

Enfin, les trois femmes réussirent à sortir de la taverne et à rejoindre Célia et Elvïen. Soufflant un instant, Ysold demanda à la paladin et la barbare d’aller chercher leurs chevaux. Il valait mieux ne pas traîner.

La petite troupe partit sans encombre. Tara, qui chevauchait avec Célia, se demanda si les clients de la taverne avaient remarqué qu’elles s’étaient éclipsées, ou si ils désiraient juste se battre pour se défouler. La serveuse eut une pensée pour maître Folahr, mais bien vite, elle oublia l’homme qui l’avait élevé durant toutes ces années. Elle sentait en elle un sentiment de joie et de liberté qu’elle n’aurait su s’expliquer.

« Je vous demande pardon », fit Elvïen. « Je nous ai fichu dans une drôle de situation… Mais en même temps, je n’ai pas pu m’empêcher d’intervenir. Je ne savais pas que les humains pouvaient être aussi stupide, aussi dégoûtant et aussi irrespectueux des femmes. Ce n’est pas chez les elfes que ce genre de choses serait arrivé ! »

« Les hommes sont tous les mêmes, Elvïen Qu’ils soient humains, nains ou elfes, ça ne change rien. Le monde est brutal et cruel avec nous, ça ne date pas d’hier. Les anciens temps bénis de la femme sont révolus, Célia en sait quelque chose. »

La sauvage approuva sans rien dire.

« Je n’arrive pas à croire ce que tu racontes Nienna ! Tu as toujours la fâcheuse tendance à voir les choses en noir. Chez moi, une telle chose ne serait jamais arriver… », continua Elvïen.

« Je ne suis pas pessimiste, mais réaliste. Si seulement tu savais… ce que je sais… ce que j’ai subi… Les hommes sont loin d’être le pire des fléau », souffla la magicienne.

Ysold lui jeta un regard compatissant. De tout le groupe, seule naine connaissait la sombre histoire de Nienna Chantelune.

Elvïen allait répliquer quand Tara intervint avant que les choses s’enveniment.

« Dites… et moi dans tout ça, je deviens quoi ? Je vous remercie de m’avoir sauvée, mais… je ne peux plus retourner chez maître Folahr maintenant, après ce qui vient de se passer… »

« Pourquoi ne te joignerais-tu pas à notre groupe ? » demanda Célia, avec un coup d’œil à Ysold.

La naine renchérit.

« Bonne idée. Tu m’as l’air plutôt dégourdie comme fille. L’aventure ne te dit rien ? »

Tara ne put réprimer un sourire. Elle avait espéré cette proposition, sans trop y croire, et voilà que ses désirs devenaient réalité.

« Ce serait avec joie ! Mais… Je ne sais pas me battre malheureusement… »

« Oh, ce n’est pas vraiment un problème, nous pourrons t’apprendre », répondit Ysold. « Mais tu dois bien savoir faire quelque chose d’autre, à part servir à boire, non ? »

« Eh bien, euh… Je sais danser et chanter, et euh… je sais aussi être discrète quand je le veux, les ombres n’ont pas de secret pour moi… et euh… c’est tout… », fit Tara, un peu penaude.

« Ah ! Voilà qui est parfait ! Tes talents pourraient nous être utiles, et tu feras un très bon compagnon, lorsqu’Elvïen t’aura appris le maniement de l’épée. », fit la naine.

La paladin sourit à la remarque :

« Ce serait un honneur. Je jure qu’en notre compagnie, tu n’auras plus à souffrir ce genre de comportement exécrable auquel tu viens d’échapper. »

« Merci… », fit timidement la serveuse. « Je ne sais comment vous remercier…. »

« Dis-nous simplement comment tu t’appelles. », dit Célia avec un clin d’œil.

« Mon nom est Tara. »

« Eh bien, bienvenue dans ta nouvelle famille Tara. »
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Message par Sunetra » 15 févr. 2006 21:13

Quelques heures plus tard…



La petite troupe chevauchait en direction du Nord. Le plan initial d’Ysold – trouver du travail bien payé dans la région – étant compromis, les femmes s’étaient mises d’accord pour rejoindre le Dalmari, plus au nord. Les bandits étaient devenus plus actifs dans cette région éloignée des fronts de guerre, car la plupart des hommes valides étaient partis pour les batailles et ne pouvaient plus défendre leur maison.

Cependant, il était écrit qu’elles n’atteindraient jamais le Dalmari.

En milieu d’après-midi, apparut sur la route, devant les cinq femmes, un cavalier isolé, enveloppé d’un long manteau brun. Immobile, sa capuche baissée, l’homme au visage austère attendait visiblement que les femmes arrivent à sa hauteur. Après s’être interrogées du regard, elles haussèrent les épaules et, sur leurs gardes, effectuèrent les derniers mètres qui les séparaient de l’inconnu.

« Hola l’homme. Nous allons vers le nord et ne nous te voulons aucun mal. Laisse-nous passer je t’en prie », dit Ysold.

« Oui, vers le nord, je sais… Vos exploits à la taverne de Folahr ne sont pas pour rien dans cette décision je présume. », répondit l’homme avec un sourire intriguant. « J’ai assisté à votre petit spectacle ma foi fort divertissant. Vous avez fait preuve de beaucoup de bravoure et vous vous en êtes bien tirées… Impressionnant… »

« Venez-en au fait l’ami… Qui êtes-vous et que voulez-vous ? », rétorqua Nienna.

« Hum, oui, oui, bien sûr. Excusez mon impolitesse… Je m’appelle Doran, seigneur d’un petit château, non loin de là. »

« Un noble qui se promène seul dans la nature ? A d’autres… », fit Ysold.

« Hum ? J’ai peut-être oublié de mentionner mes talents magiques… Oui, j’ai oublié en effet », sourit l’humain.

« Soit… », grommela la naine. « Et ensuite ? Pourquoi nous faire perdre notre temps ? Vous vouliez nous voir n’est-ce pas ? Pourquoi ? »

« Oui, c’est vrai. Je me permets de me tourner vers vous pour une affaire qui me tient à cœur. Voilà, ma famille n’a pas toujours habité cette région inintéressante, peuplée de fermiers tous plus idiots les uns que les autres. Autrefois, ma famille était l’une des nombreuses branches de la noblesse de la magnifique Delain. »

A ce nom, Nienna tiqua.

« Bien sûr, mes ancêtres ont dû fuir la cité, après que… enfin, vous savez quoi… et je n’ai pas du tout l’intention d’y retourner. Mais après de récentes recherches, il s’avérerait que le talisman ancestral de ma famille soit toujours là-bas, au main d’un de ces misérables charognards de mercenaires. »

« Et vous voulez qu’on aille vous le chercher, c’est ça ? » dit Ysold.

« Bien sûr ! » fit Doran avec un large sourire. « Evidemment, vous serez récompensées comme il se doit. Je vous propose 10 000 brouzoufs maintenant, et 20 000 de plus si vous me rapportez le médaillon. Alors ? »

« 30 000 brouzoufs, » fit la naine, les yeux arrondis par la convoitise. « Hum, hum, euh laissez-nous réfléchir, vous voulez bien ? »

Les femmes s’écartèrent alors un peu et discutèrent sur la marche à suivre.

« C’est hors de question ! » commença directement Nienna. « Je n’irai pas à Delain ! »

« Pourquoi donc ? », demanda innocemment Tara.

« Parce que ! »

« Il paraît que des monstres s’agitent dans les souterrains. », intervint Elvïen. « On parle de morbelins…Ce pourrait être l’occasion de débarrasser le monde de nombre de ces vermines, et de purifier un peu ces fameux souterrains. »

« On dit qu’ils regorgent de richesses… », ajouta Tara.

« Pauvres folles !!! Vous ne savez rien de ce qui se cache dans les souterrains ! C’est le Mal en personne qui réside là-bas ! Celui dont le nom fut oublié, même de ses congénères ! »

« Malkiar ? Je croyais que ce n’était qu’une légende. » dit Célia.

« Une légende ?? Un cauchemar oui !! Et vous oubliez tous les monstres qui pullulent, sans compter les mercenaires et les hommes-démons ! Je n’irai pas là-bas ! »

« Allons ! Nous ne sommes pas inexpérimentées ! », répondit Célia. « Je pense que nous aurions beaucoup à gagner à accepter cette mission. »

« Si nous combattons les monstres de Malkiar, légende ou pas, Falis sera avec nous, cela est sûr. Aie un peu la foi pour une fois Nienna. »

« Je ne veux pas combattre les enfants de Malkiar ! Je… NON ! Hors de question ! »

« Mais pourquoi diable à la fin ! De quoi as-tu peur !? » dit Elvïen.

« Parce que je ne veux pas combattre ma descendance ! J’ai déjà perdu trop de mes enfants ! » hurla Nienna, qui éclata ensuite en sanglots.

La révélation de l’elfe abasourdit ses camarades, à l’exception d’Ysold, qui laissa échapper un long soupir.

« Ta descendance ? », répéta Célia, craignant de comprendre.

La voix faussée par les larmes, Nienna s’expliqua.

« Delain, ma ville natale, ma ville maudite ! Cinquante années de servitude au service du Démon ! Cinquante longues années à subir ses tourments ! J’ai réussi à fuir… A moins qu’il ne m’ait relâché pour son propre amusement… Libre j’étais… mais pour découvrir le Mal qu’il avait semé en moi durant toutes ces années. Ce Mal que j’ai mis au monde, et que j’aimais malgré moi… Les hommes-démons… Ce sont Nos enfants… mes enfants… »

Nienna ne put continuer. Elle hoquetait de douleur, et ses joues étaient creusées par le lit de ses larmes. Alors, Ysold, une main compatissante sur l’épaule de son amie, dit calmement.

« Nienna… Je sais les tourments que tu as subis… Je devine qu’ils sont encore plus effroyables que tout ce que tes mots peuvent laisser imaginer. Mais peut-être serait-il temps d’en finir avec tes démons, ne penses-tu pas ? »

La magicienne leva un regard humide dubitatif, mais ne dit rien.

« Les enfants de Malkiar sont foncièrement mauvais, tu n’y peux rien Nienna. », continua Ysold. « Mais peut-être… peut-être que certains peuvent être sauvés. Ceux-là ont besoin de toi, de ton amour. Quant aux autres… »

« Je ne comprends pas tous tes tourments, et je sais que ce que je vais dire va te paraître idiot, mais… Tu ne peux continuer à vivre dans la peine et la peur Nienna. », intervint à son tour Célia. « Si tu veux revivre, il te faut affronter ton passé et combattre tes cauchemars une bonne fois pour toutes. C’est l’occasion ou jamais… »

Un silence pesant suivit la déclaration de la prêtresse de Galthée. Nienna avait séché ses larmes, et tête baissée, semblait perdue dans ses pensées. Enfin, elle finit par répondre dans un souffle :

« Vous avez raison… Mais… je n’y arriverai pas toute seule… »

« C’est pour ça que nous sommes là, Nienna. », dit Elvïen.

Loin de rejeter comme à son habitude l’étreinte de la paladin, Nienna serra pour une fois dans ses bras sa camarade.

Un quart d’heure plus tard, les cinq femmes firent demi-tour et prirent la direction du Sud, vers Delain, vers leur destin…
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Sunetra
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Message par Sunetra » 19 févr. 2006 19:22

Trois semaines plus tard, ruines extérieures de Delain.



« Je voulais bien dit ! Cet endroit est un enfer ! Nous n’aurions jamais dû venir ! »

Personne n’osa contredire Nienna. Cela faisait trois jours que les cinq femmes fouillaient les ruines de Delain à la recherche de cet hypothétique mercenaire et de l’hypothétique médaillon qu’il avait.

Le premier jour s’était plutôt bien déroulé. Elles n’avaient affronté que de la vermine, géante certes, mais de la vermine quand même. Rien de bien méchant. Puis le second jour, une rencontre avec une autre bande d’aventuriers s’était mal passé. Ces derniers s’étaient sentis insultés lorsque le petit groupe de femmes avait refusé de « chasser » avec eux, et la situation avait dégénéré jusqu’à ce que les armes soient tirées de leur fourreau. Ysold avait tué l’un des mercenaires, une guerrière de la lointaine contrée viking, avant que les amies n’opèrent une sage retraite. Heureusement, il n’y avait eu dans leur rang que des blessés légers, et Célia avait pu mettre à profit ses talents de guérisseuse.

Le troisième jour, lui, fut catastrophique. Les cinq femmes étaient tombées nez à nez avec trois hommes-démons, qui se jetèrent sur elles avec férocité et haine. En théorie, elles auraient dû avoir le dessus assez facilement, à cinq contre trois. C’était sans compter Nienna. Folle de douleur à la vue de sa descendance, elle avait voulu raisonner les hommes-démons, malgré les intentions belliqueuses de ces derniers et les protestations de ses amies. Cela avait failli lui coûter la vie, et Célia DUT s’en remettre directement à sa déesse pour sauver Nienna d’une mort certaine. Ses camarades se demandèrent si elles avaient bien fait de sauver l’elfe, car elles avaient pu lire dans les yeux de la magicienne toute sa déception et sa colère quand, revenue à elle, elle avait vu les cadavres des hommes-démons. Elle n’avait cependant rien dit, car Tara et Elvïen avaient été grièvement blessées dans le combat, par sa faute.

La rencontre avec un troll avait fini d’achever le moral de la petite troupe. Encore une fois, elles avaient échappé de justesse à la mort. Après ce dernier combat éprouvant, les cinq femmes avaient temporairement trouvé refuge dans les ruines d’une boulangerie. Célia pansait les plaies d’Ysold, et Tara chantait doucement un air mélancolique.

« Allons, il nous faut nous ressaisir ! Après tout, nous sommes vivantes, et plutôt en bonne santé, malgré ces derniers jours dangereux. », fit Elvïen.

« J’aimerais partager ta bonne humeur, Elvïen », dit Célia. « Nous avons peut-être surestimé nos capacités… »

Ysold se releva d’un bond sur ses petites jambes.

« Non, Elvïen a raison ! Voyons les choses du bon côté : nous avons vaincu un groupe d’humains, des rats et même des hommes-démons. Nienna, tu devras te faire une raison ma chérie. Ta progéniture ne veut pas ton bien en général. Ok, tu veux les sauver, et la discussion, c’est bien. Mais pas quand ils te chargent l’épée au clair en te maudissant mille fois ! »

La magicienne ne dit rien. Au fond, elle savait que la naine avait raison, mais elle n’arrivait pas à vouloir la mort de ses enfants. C’était au-dessus de ses forces. Et revoir les ruines de son ancienne vie n’arrangeait rien à ses tourments.

Nienna se releva alors, attrapa son bâton et fit mine de partir.

« Alors, vous venez ? Plus vite nous aurons trouvé ce médaillon, plus vite nous pourrons partir. »

Sans attendre de réponse, Nienna se dirigea vers ce qui devait être autrefois un magnifique jardin public.

Ses camarades se regardèrent un instant avec un air résigné, puis elles suivirent la magicienne.

Pendant une heure, elles fouillèrent le jardin, quand soudain Tara poussa un cri de surprise.

« Venez voir ! », dit-elle de sa voix chantante.

Approchant, les autres purent distinguer ce qu’avait trouvé Tara. Une sorte de tunnel, qui s’enfonçait dans les profondeurs de la terre.

« Où cela mène-t-il à votre avis », demanda Tara, inquiète.

Ysold haussa les épaules.

« Aucune idée, mais ce trou puant ne me dit rien qui vaille. »

« Il doit y avoir tout un réseau de galerie là-dessous… Les souterrains… », fit Célia.

« Un repère de monstres ! Allons les surprendre dans leur propre tanière. », dit alors Elvïen, tout en s’avançant vers le trou.

La hache d’Ysold lui stoppa net le chemin.

« Où vas-tu comme ça gamine ?? Le médaillon ne se trouve certainement pas là-dedans, aucun homme ne serait assez fou pour aller mettre les pieds dans ces souterrains. Les extérieurs sont déjà bien assez dangereux comme cela ! »

Nienna et Célia hochèrent la tête, en signe d’acquiescement, tandis que Tara, d’un avis plus mitigé, s’était rapprochée d’Elvïen. Cette dernière lança un regard déçu à ses amies, leur tourna le dos et allait commencer à descendre quand même dans le trou lorsqu’une voix profonde et presque irréelle se fit entendre.

« N’APPROCHEZ PAS PAUVRES FOLLES ! CECI EST LE REPERE DU DEMON. NUL HOMME NE PEUT LE VAINCRE, VOUS ALLEZ À UNE MORT CERTAINE ! »

Levant les yeux, les cinq femmes aperçurent alors, trônant au sommet d’une grande pierre taillée, une petite humaine, vêtue d’un long manteau de laine grise. Elle tenait un grand bâton noir qui irradiait d’une lumière blafarde, et son autre main était levée en signe d’avertissement. Son crâne chauve était orné d’un bandeau qui lui couvrait les orbites. Une aveugle…

« C’est ce que je me tue à lui dire, vous savez… », fit Ysold, sarcastique.

« Je ne connais pas la peur ! », répondit Elvïen. « Qui êtes-vous, pour vous promener seule au milieu de cet enfer ! Ne seriez-vous pas une illusion, pour mieux nous tromper et nous poignarder dans le dos ?! »

« IL SUFFIT ! »

La voix tonnante de la mystérieuse aveugle intima le silence aux camarades.

« Je ne suis pas un monstre, ni même une illusion. Je me nomme Anaraïs, prophète de Io, Roi de la Nuit. Ce dernier m’a accordé ses faveurs ( - elle montra alors son bandeau - ), et depuis, les monstres de Malkiar ne peuvent plus grand-chose contre moi. En retour, je ne puis influencer que bien peu sur le monde matériel. Mais je VOIS ! Et je vous préviens ! C’est la mort qui vous attend, Femmes Fatales ! »

Les cinq femmes fixèrent la prophétesse d’un œil méfiant et surpris. Ysold demanda enfin :

« Que fait une prophétesse de Io l’Aveugle, seule dans ses ruines ? Avez-vous une mission ? Pouvons-nous vous aider ? »

Les yeux de la naine brillaient de convoitise. Malheureusement, la réponse d’Anaraïs doucha ses espoirs.

« Ma seule mission est de suivre l’évolution du Mal, un Mal que les hommes ont invoqué, un Mal qui ne se repose jamais, un Mal qui est partout ! J’observe, j’analyse, et j’aide les aventuriers à sauver leur peau. Je pressens les dangers, vois clair dans les illusions du Démon. Un jour, Io m’appellera pour parachever ma quête. Je ne sais pas encore ce qu’il attend de moi, mais cela est pour bientôt. Très bientôt. »

Célia allait répliquer quelque chose lorsque soudain, un beuglement terrifiant retentit derrières elles. Un démon abyssale ailé approchait à vive allure. Il dégageait une telle aura de peur que les cinq femmes mirent quelques secondes à réagir. Des secondes qui auraient dû être fatales. Mais, alors que le démon était sur elles, le bruit sec d’une corde qui se détend se fit entendre, suivi du sifflement strident d’une flèche. Le démon s’écroula raide mort, la tête transpercée par le projectile.

Anaraïs n’avait pas bougé d’un iota.

« Joli tir. », dit-elle sans broncher.

Sautant du haut de l’arbre dans lequel elle s’était cachée, l’archère se réceptionna avec la souplesse d’un félin. Epoussetant sa cape vert sombre, elle alla récupérer sa flèche.

« Saleté de démon. », grommela-t-elle. « Il va me falloir encore des heures à nettoyer ma flèche de toute cette cervelle ! »

Ysold, Nienna, Elvïen, Célia et Tara se remirent enfin de leur stupeur. L’ex-serveuse s’adressa à l’archère.

« Merci, Dame. Vous nous avez sauvé la vie. Je m’appelle Tara, et voici, Ysold, Nienna, Elvïen, Cé… »

« Oui, oui, je sais qui vous êtes. Je vous suis depuis hier. »

« Vous nous suivez ? Pourquoi ?! », fit la naine, en resserrant sa poigne sur sa hache.

« Eh bien, pour veiller sur vous. Vous n’avez pas l’air bien dégourdies… »

Vexée au plus haut point, Ysold se tut. Nienna riposta d’un air sombre.

« Parce que vous êtes sans doute plus forte que nous toutes réunies, c’est cela ? »

« Plus forte ? Cela ne veut rien dire. Mais je n’ai pas survécu dans ses ruines depuis plus d’un an sans avoir un minimum de compétences ma petite. »

« Je vous trouve bien fière ! Et d’abord, qui êtes-vous ? Vous portez le symbole d’Elian à ce que je vois. Quel est votre nom, forestière ? »

« Mon nom n’a aucune importance. Je resterai pour vous l’Inconnue. », répondit l’archère avec un petit sourire.

Doublant Nienna de peur que la situation ne dégénère comme lors de leur dernière rencontre avec des aventuriers, Célia demanda à l’Inconnue si elle voulait se joindre à leur petit groupe.

« Pourquoi pas… La solitude commence à me peser, et vous aurez bien besoin de moi… et moi de vous… »

Sans rien ajouter d’autre, l’Inconnue se dirigea alors vers le trou béant. Alors qu’elle s’apprêtait à s’y engouffrer, Anaraïs fit de nouveau entendre sa voix divine.

« QUE FAIS-TU, FOLLE INCONNUE !? »

L’Inconnue jeta alors un regard par-dessus son épaule, et lâcha :

« Je vais réparer le mal que les hommes ont fait… »

Puis elle disparut dans l’ombre des souterrains.

Elvïen la suivit quelques secondes après, une prière à Falis aux lèvres. Puis Tara et Célia, échangeant un regard, se lancèrent à la suite du paladin.

Anaraïs, Ysold et Nienna restèrent quant à elles un moment sans bouger, en silence. La prêtresse de Io avait un air interloqué, comme si la situation lui échappait totalement.

« Est-ce là le signe que j’attends depuis si longtemps, oh, Roi Aveugle ? », chuchota la prophétesse confuse, sans espérer de réponse. Puis elle se décida à suivre à son tour l’Inconnue.

La naine et la magicienne se retrouvèrent seules dans le jardin détruit. Seules avec leurs doutes et leurs peurs.

« C’est complètement stupide ! Nous avons une mission, et elle est déjà bien diff… Mais… Que ? Nienna ? »

La magicienne s’était avancée au bord du trou. Se retournant vers sa vieille amie, elle dit avec un sourire triste :

« Il est temps d’en finir… »

Et de descendre à son tour dans les souterrains.

Ysold prit un air résigné. Elle repensa à la récompense qu’elles auraient pu avoir en rapportant le médaillon au noble. Elle poussa un long soupir à fendre l’âme.

« Bah… De toute façon, je n’aurais pas su quoi faire de tout cet argent. », bougonna-t-elle sans grande conviction.

Alors, la dernière de celles qui allaient bientôt être connues sous le nom de Femmes Fatales s’engouffra dans la pénombre du boyau…
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