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Chapitre I :
Orphelin depuis la première année de son existence, Leno était un tout jeune elfe d'une cinquantaine d'années. Bref, un adolescent. Il était doté d'une très grande beauté qui n'avait d'égale que son incroyable maladresse. Il ne se passait pas une journée sans qu'une catastrophe ne s'abatte sur sa forêt natale. Et chaque fois qu'il se produisait un évènement sortant de l'ordinaire, tous les regards se braquaient irrémédiablement sur lui - rarement à tord.
Il ne lui fallut qu'une dizaine d'années pour se forger, bien malgré lui, une réputation de voyou. Et malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à inverser la tendance.
Une telle notoriété le propulsa rapidement au coeur des centres d'intérêts des jeunes filles, son physique au charme ravageur aidant beaucoup. La seule mention de son nom provoquait un concert de soupirs et de gloussements jusqu'à l'orée de la forêt. Que voulez-vous? Les elfes de moins de 100 ans sont d'une frivolité effarante. Bien pire que leurs aînées! Alors comment vouliez-vous qu'elles résistent à l'attrait de celui qui était considéré par toutes comme un beau et ténébreux rebelle? Inutile de préciser que ce n'était pas toujours - pour ne pas dire jamais - du goût des parents qui n'avaient évidemment pas envie de voir leurs filles chéries s'acoquiner avec un tel individu.
Traité comme un paria dans sa forêt, il lui avait été expressément signifié que son départ serait le bienvenu. Mais pour aller où? D'amis, Leno n'avait que la solitude. Il ne connaissait nul endroit où se réfugier, nul abri où se ressourcer en dehors de sa forêt.
Incapable de fuir loin de tous, il arrivait souvent qu'il arpente sa forêt natale, le cœur en peine, tel une âme damnée. Ceux qui le voyaient ainsi courir les larmes aux yeux étaient parfois pris de pitié mais cela ne durait jamais. Il suffisait que la malchance s'abatte de nouveau sur lui pour qu'il soit de nouveau mis à l'écart, comme un malade porteur de germes hautement contagieux.
Un jour, une elfe de son âge parvint à s'approcher de lui en contournant la surveillance parentale et, pour la première fois de sa vie, Leno se sentit heureux. Ils passèrent la journée à s'amuser sans relâche, enchaînant les courses folles dans le sous-bois et les concours de ricochets près d'un ruisseau. Elle ne se défendait pas mal et Leno la suspecta de tricher. Mais il ne dit rien, trop heureux d'avoir enfin une amie à qui parler.
Fait surprenant, il ne se produisit rien de catastrophique. Le jeune elfe aurait pu envoyer son caillou ricocher sur le crâne d'un esprit majeur de la forêt mais non, ses projectiles se bornèrent à heurter la surface de l'eau. Ni même d'incidents mineurs: durant la course il aurait pu percuter Elaviel, la grande prêtresse rentrant de sa cueillette un panier de plantes médicinales dans chaque main mais non... sa bonne étoile semblait avoir enfin décidé de montrer le bout de son nez.
Le soleil déclinait lorsque accompagnée de son amie, ils montèrent au faîte d'un vieux chêne pour admirer le coucher de l'astre du jour. Perchés sur une branche, ils admirèrent la vue ô combien magnifique sans prononcer une parole, de peur de briser l'enchantement.
Une petite brise venait caresser la cime des arbres qui se balançaient doucement. La forêt ondulait comme une mer d'émeraude et, au loin, les nuages s'embrasaient de rouge, d'orange et de jaune, mouchetant le ciel d'une myriade de flammèches évaporées. Les oiseaux saluaient la tombée du jour, accompagnant la venue de la nuit par une multitude de pépiements qui s'accordaient en une douce mélodie.
Bercée par la poésie de l'instant, la jeune elfe inclina sa tête en direction des lèvres de Leno et y déposa un bref baisé. C'est malheureusement à ce moment que le frère de la jeune fille débarqua comme une furie au pied de l'arbre. Inutile de retranscrire ici le vocabulaire fleuri qu'il employa. Sitôt que les deux tourtereaux furent descendus de leur perchoir, il ordonna à la jeune elfe en pleurs de rentrer sur le champs.
Puis il se tourna vers Leno.

Dans le fond, Leno n'était pas un mauvais bougre, juste un poissard invétéré. Mais à l'instar de ses semblables, le frère de sa nouvelle amie le considérait comme un vulgaire parasite dangereux et coureur de jupons de surcroît! L'esprit rongé par la vision de sa sœur corrompue par ce mécréant, il déchaîna toute sa colère sur le malheureux. Usant de puissants sortilèges, il le priva de sa beauté avant de disparaître entre les arbres, ruminant qu'il aurait du le tuer.
Après ce déferlement de magie, il serait injuste de dire que Leno était d'une laideur à faire vomir un crapaud mais il faut bien avouer qu'il n'avait plus rien de l'elfe qu'il avait été. Son corps élancé avait laissé place à une bedaine rebondie, des membres lourdauds et des doigts aussi épais que des pieds de porc.