Délia

[Erastide]

Liselle regarda avec un soupir l’escorte des deux jeunes filles lever le camp… Elle se sentait impuissante mais avec la missive qu’elle venait de recevoir de Kaali et qui annonçait son arrivée, le départ était sans doute la meilleure chose à faire. Elle hésitait d’ailleurs à les accompagner quand elle vit Nastywoks pénétrait dans le passage… Cependant, elle avait conscience que sa présence serait plus une gêne qu’autre chose pour les amis de Délia et elle n’avait rien de mieux à faire que retourner au temple pour prier.

Ce fût à peu près à ce moment qu’elle sentit une pression anormale sur son armure… En baissant les yeux, elle entrevit deux larges mains qui glissaient vers le bas de son dos et la chose lui parût tellement improbable qu’elle eût de la peine à réagir dans l’instant… Pourtant la sensation qu’elle perçut la seconde suivante ne laissa aucun doute sur les intentions du propriétaire des paluches. Liselle fit un bond en avant, à la fois indignée, surprise, furieuse et même dégouttée. Mais, bien que ce ne fût pas une volonté tout à fait délibérée, son sursaut s’accompagna du geste réflexe qui lui fit dégainer son glaive et de voir le malotru trop peu courageux pour assumer son acte ne lui permit pas de réfléchir longtemps. D’un mouvement des plus rapides – ce n’est pas parce que Duron était un des meilleurs bretteurs des souterrains que Liselle ne savait pas se servir de son arme - elle piqua en direction du fuyard, exactement à l’endroit où elle avait elle-même été outragée !

Malheureusement, l’élan permit à Duron de ne guère être incommodé par la douleur sur le coup mais la jeune femme ne put taire un sentiment de vive satisfaction en voyant un morceau d’étoffe de la teinte des braies du nain rester devant le passage magique taché de quelques gouttes de sang. Peut-être ne s’apercevrait-il pas tout de suite de la chose, mais elle était certaine que la prochaine fois qu’il essaierait de s’asseoir, le froid de son siège lui ferait prendre conscience de sa tenue ridicule et le piquant de son arrière-train serait assurément un souvenir récurrent de l’indignité de son acte !

[Mélisande]

Ce qui restait de l’escorte, amoindrie par les morts et les découragements, arriva au temple d’Apiéra. Tous ceux qui savaient soigner passèrent leurs journées dans les chambres des deux jeunes filles et prodiguèrent sans cesse leurs bienfaits. Duron alla aider Croquette, une Croisées de Falis, à les rejoindre. Schyron, Mortharon, Kharon et Korgrim s’occupaient de dégager les alentours du temple.

De la nombreuse troupe d’adeptes de Falis, il ne restait plus que Spank, Nastywoks et Athalante. Ces deux derniers, totalement démoralisés, s’enfermaient dans une dépression profonde. Athalante ne parlait plus à personne, ne regardait plus personne, hormis sa fille et Ecate. Elle s’alimentait à peine. Nastywoks restait prostré dans un fauteuil, dans la chambre des alitées, et paraissait parti dans un autre monde, tant son regard vitreux et désespéré flottait sur les silhouettes allant et venant sans les voir.

Pourtant, à force de soins, quelques progrès se faisaent sentir. Le teint d’Ecate et de Délia était moins blafard, les expressions de souffrance firent place à des physionomies plus sereines. Ces manifestations d’espoir ne parvenaient pas à sortir Athalante de sa léthargie. Profondément marquée, elle se disait que, de toute façon, Balgur interviendrait à nouveau pour réactiver l’agonie des jeunes filles. L’impuissance de l’escorte face au bon vouloir de ce dieu l’anéantissait.

Comme chaque matin, Athalante se rendit dans la chambre d'Ecate et de Délia. Nasty n'était pas là, effondré dans un coin, comme à son habitude. Mais ce n'est pas ce détail qui frappa Athalante.

Les lits étaient vides !!!

Paniquée, la petite humaine se précipita dans le couloir en s'écriant :

"- Ecate et Délia ont disparu ! Où sont-elles ?"

[Spank]

Spank désespérait de voir l’état des fillettes. Même avec tous les soins que leur prodiguaient les mages elles affichaient toujours leur air triste. Un jour alors qu’il s’isolait comme d’habitude une voix résonna dans sa tête. C’était Délia. Elle lui demanda s’il voulait l’aider, s’il était prêt a tout pour elle. A cet instant de nombreuses questions se bousculèrent dans son esprit. Que voulait-elle dire par « tout » ? Et ce sentait-il prêt à le faire ? Mais il se ressaisit assez vite et récupéra ses esprits, Délia n’était-elle pas l’incarnation de sa déesse ? Oui il ferait tout pour elle. Il y pensa très fort et Délia ne tarda pas a lui répondre : il fallait qu’il choisisse une personne en qui il avait une confiance absolu a part Athalante. Son regard se tourna donc vers Nastywoks, il ne le connaissait que très peu mais sa renommé dans la guilde l’avait précédé. Il lui expliqua le problème et Nastywoks n’hésitât pas une seul seconde, lui aussi était prêt a tout pour Délia.

Dans la soirée Délia entra de nouveau en contact avec Spank. Elle lui demanda de l’emmener elle et Ecate le plus loin possible du groupe sans se faire remarquer. Tout devait se passer dans la plus grande discrétion possible. Spank et Nastywoks décidèrent de partir le lendemain matin très tôt.

Au petit matin Spank se réveilla et se rendit dans la chambre comme prévue. Nastywoks était là, prêt à partir. Il prit Délia dans ces bras la recouvrit d’un draps pour qu’elle n’ai pas froid, Nastywoks fit de même avec Ecate. Puis avec la plus grande discrétion ils sortirent du temple et en allèrent aussi loin que possible. Délia semblait heureuse, ce qui remontait le moral des deux elfes, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

Ils se cachèrent au détour d’un mur pour se reposer et c’est a ce moment que Délia expliqua aux deux elfes ce qu’ils allaient devoir faire pour les aider : les poignarder toute les deux et mélanger leur sang. Cette idée le répugna mais il avait promis à Délia de faire tout ce qu’elle voulait.

Spank s’approcha des fillettes, il les contempla longuement, pensant aux actes horribles qu’il allait devoir faire, seul le sang mêlé des deux fillettes pourrait faire venir Falis. Il fallait qu’il leur ouvre le cœur à toutes les deux, plus tard Falis les ressusciterait.
Quand nastywoks entendit ça il ne comprenait plus, Spank aurait-il perdu la raison ? Etait il été possédé par Balgur, dieu de la guerre? Il s’opposa à de tels actes. Mais face à la détermination de Spank il se résigna. Spank ferma alors les yeux et se mit à prier :
« Oh grande Falis, je m’apprête à accomplir ta volonté, donne moi la force de le faire. »
Spank se concentra, leva sa lame au dessus des deux fillettes, sa lame tremblait, il était à bout de force, le voyage l’avait épuisé. Nastywoks l’arrêta. Nastywoks prit peu à peu conscience de sa détermination. Elle ne pouvait être feinte, pas ces prières, pas cette foi, pas ce tiraillement constant qu'il lisait sur son visage. Il cessa de s'opposer. Il le ferait, si il le fallait....
Spank se prépara donc de toute son âme à prier Falis :
« Falis, je suis trop épuisé pour faire ce que tu m’as demandé, Nastywoks s’en chargera. Puisse-tu lui donner le courage d’accomplir sa mission. Je t’en prie, vient a nous et ressuscite Délia et Ecate, refait les venir parmi nous.
Falis déesse du pardon puisse-tu nous pardonner de cet acte horrible. »

Spank regarda Nastywoks prendre sa dague et poignardé les deux fillettes. Il s’agenouilla sur leur corps inanimé. Tout ce sang le répugnait et pourtant il mis les mains dedans, mélangea les deux sang. Puis il les rapprocha l’une a coté de l’autre. Le sang était partout mais les fillettes semblaient soulagées.
Voila qui était fait, on ne pouvait plus revenir en arrière maintenant.
Spank espéra très fort que tout le monde lui pardonnerait ça même si il savait que ça allait être dur pour l’escorte.

[Mélisande]

Difficile de se faire à cette idée. Pourtant, quelque chose en Nastywoks l'y poussait, obstinément. Il fallait le faire, cela ne pouvait qu'être vrai. Il n'avait pas pu être à ce point abusé, floué.
Il se concentra, et entama sa prière tout en sortant son poignard.

" Oh Falis, toi qui règne sur nos vies. Ton nom rayonne dans les cieux et sur cette terre, parmis les tiens, et tous les justes.
Aujourd'hui plus que jamais je t'implore. L'épreuve que Tu nous soumets est dure. Mais, à Tes côtés, nous serons assez fort. En Ton nom nous agirons, pour Ta gloire éternelle.
Oh Falis, donne moi la force, et ramène les nous."

Puis, à voix haute : "Pardonnez-moi !"

A ces mots, Nastywoks enfonça son poignard dans le corps inerte de Délia. Il reçu le coup comme s'il se l'était lui-même porté. Ses larmes se mélèrent au sang qui sortait de la plaie. Ses mains avaient tant tremblé !
Mais il avait trouvé la force de s'accomplir.
Il recommenca sa prière, effondré à genoux auprès de la fillette.

Puis il se rapprocha d'Ecate, et recommenca son oeuvre. Son corps était envahi de convulsions, ses yeux le brulaient. Par deux fois son geste n'abouti.

Les deux fillettes étaient allongées, il se tenait auprès d'elles avec Spank, à contempler le résultat de leur détermination. Autour, il sentait bien le regard accusateur des aventuriers qui avaient pu assister à la scène. Mythrion, qu'il avait apperçu auparavant. Athalante, qu'il savait être présente... Comment pourrait-il supporter celà ?


Récit raconté par Nastywoks.

[Mélisande]

Avertie inopinément par Carole, Athalante avait couru vers le sud de l'oeil droit du masque de mort.

Elle arriva juste à temps pour voir le quattuor.

Ecate et Délia, allongée l'une à côté de l'autre, et Spank et Nastywoks à côté d'elle. Nastywoks levait son poignard au-dessus de Délia. Par deux fois, la lame s'enfonça dans le coeur de la jeune fille.

Athalante ouvrit la bouche, mais son cri d'horreur resta coincée au fond de sa gorge. Tout son sang se vida de son visage. Elle tomba à genoux, terrassée par la douleur qu'elle ressentait devant l'assassinat de sa fille.

Impuissante, elle ne put que contempler de ses yeux vides Nastywoks s'acharner sur Ecate.

[Mélisande]

Mes enfants, je vous ai entendus tous ces jours sans pouvoir répondre à votre appel.

Je devais m'assurer de votre foi à tous ...
Je devais vous éprouver afin que vous vous montriez dignes de mon amour.

Vos prières nombreuses et votre détresse m'ont donnée la force d'intervenir pour sauver ce qui peut l'être.
Délia et Ecate sont en sureté dans mon temple. Balgur n'osera pas y pénétrer.
La malédiction ne pèse plus sur elles ici. La vengeance n'a pas d'emprise en ce lieu du pardon. Toutefois, la malédiction n'est pas défaite pour autant. Je n'ai pas le pouvoir, personne ne l'a. Elles ne pourront plus quitter ce temple sans prendre le risque de courroucer Balgur plus encore.
C'est ainsi, la liberté est le prix à payer pour la vie de mon enfant, de ton enfant, Athalante ... de votre enfant à tous.

Je suis fière de vous tous, pour vous dévouement et votre continuel espoir malgré le peu de moyen que vous aviez face à un courroux divin.
J'incline devant Spank et Nastywoks qui ont agi avec célérité et ont su écouter leur coeur plutot que la raison.
Je salue encore le courage de Spank d'avoir pris le risque d'affronter tous les défenseurs des enfants sans connaitre l'étendue de la tache qui l'attendait.

Je vous décharge à présent du poids de protéger ma représentation sur votre monde.

Que la justice guide votre bras, que le pardon accompagne votre coeur.

Paroles prononcées par la déesse Falis.

[Mélisande]

Alors autour des silhouettes des deux adeptes de Falis et des cadavres d’Ecate et de Délia, s’élevèrent des murs de pierre à une vitesse vertigineuse. Une aura blanche se mit à éclairer la scène, la luminosité s’accentuant de seconde en seconde jusqu’à devenir éblouissante. Falis érigeait son propre temple sous les yeux d’Athalante, de Mythrion et de tous ceux qui avaient pu courir derrière les deux kidnappeurs.

Devant ce spectacle, Athalante sortit de sa torpeur et sentit soudain la colère l'envahir, son visage s'anima d'une rage farouche. Une épée de feu jaillit entre ses mains. Elle se précipita dans le temple, l'épée brandie, et s'arrêta net après avoir franchi le seuil. Les yeux de Nastywoks avaient perdu toute vie, Spank, à ses côtés, semblait aussi abattue. Par contre, Ecate était debout, bien vivante, un air toutefois déçu sur le visage. Et Délia était là, debout, vivante, souriante. Sa mère ne vit qu'elle, dans l'éblouissement et l'incompréhension totale dans laquelle elle était.

Délia regarda Athalante. La jeune femme se précipita pour serrer sa fille contre son cœur.





Ecate et Délia étaient sauves. A force de prières, d’efforts et d’abnégation, les adeptes de Falis avaient réussi à donner de la puissance à leur déesse. Le premier temple de Falis avait vu le jour.

Toutefois, les jeunes filles étaient encore sous le coup de la malédiction de Balgur. Elles ne pourraient donc pas quitter le temple de Falis sous peine de retomber dans le coma, puis de mourir.

Malheureusement pour elle, Ecate n’avait pas trouvé dans les Souterrains assez de partisans, elle resterait donc prisonnière d’un lieu qu’elle haïssait, sauf si elle trouvait des adeptes assez motivés pour rendre gloire à Ecatis.



Ainsi s’achève la quête des Chevaliers de Justice et des adeptes de Falis en général, pour l’érection du temple de leur déesse, Falis.